Type de texte | source |
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Titre | \"Commentaire de l\'épître à son fils (le gracieux en peinture)\", lu à l\'Académie royale de peinture et de sculpture le 1er octobre 1712 |
Auteurs | Coypel, Antoine |
Date de rédaction | 1712/10/01 |
Date de publication originale | |
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Auteurs de la traduction | |
Date de traduction | |
Date d'édition moderne ou de réédition | 2010 |
Editeur moderne | Lichtenstein, Jacqueline; Michel, Christian |
Date de reprint |
, p. 59-60
« La grâce, le naïf, le charme du pinceau » (60e vers de l’Épître)
Les ouvrages les plus recherchés, les plus réguliers, même les plus savants et les plus profonds, pourront, sans doute, se faire estimer, mais ils n’auront pas toujours le bonheur de plaire s’ils sont dénués de ce charme divin que l’on appelle la grâce, et qui embellissant, pour ainsi dire, la beauté même, gagne le cœur plus promptement que cette beauté ne touche l’esprit et la raison.
Il est des grâces que l’on ressent très vivement, dont on ne peut rendre raison ; mais on peut rendre raison de la beauté. On trouve assez souvent des femmes régulièrement belles, qui ont le déplaisir de voir que l’on s’en tient uniquement à les admirer, sans qu’il en coûte rien au cœur, parce qu’il leur manque ce je ne sais quoi de gracieux qui sait le captiver avant la réflexion. On en voit d’autres qui, malgré l’irrégularité de leurs traits, sont tellement remplies de grâces, que les voir et s’en laisser toucher, c’est presque la même chose.
C’est cette partie, si nécessaire dans la peinture, qui faisait qu’Apelle ne pouvait s’empêcher de s’applaudir lui-même, car il avouait qu’Amphion l’emportait sur lui pour la disposition, et Asclépiodore pour la régularité du dessein, mais il ne le cédait à personne pour la grâce, qui était le caractère qui le distinguait et l’élevait en même temps au-dessus de tous ses concurrents. Ce grand peintre, dépouillé de cette basse jalousie qui infecte tant de gens estimables d’ailleurs, admirait de bonne foi dans les ouvrages des autres les beautés qu’il y trouvait ; mais il ne pouvait s’empêcher de dire qu’il y manquait toujours cette grâce que lui seul savait répandre dans ce qu’il peignait.
Dans :Apelle supérieur par la grâce(Lien)
, p. 62
C’est faute de bien sentir les beautés de la pure nature que l’on a recours aux ornements étrangers pour donner de la grâce à ses ouvrages ; car il est aisé de tomber dans le défaut de ce peintre grec, qui, ayant peint une Hélène, l’avait tellement ornée de pierreries, qu’Apelle, à qui il la faisait voir, fut obligé de lui dire : « N’ayant pu la faire belle, vous n’avez pas manqué de la faire riche ». Je sais, cependant, que les richesses et la variété des étoffes font un effet agréable et gracieux quand elles sont bien entendues ; qu’il est même des sujets où cette richesse est essentielle ; mais il ne faut pas la prodiguer mal à propos ; il faut même être avare des ornements, dont le trop d’abondance formant de trop petites parties, ôte cet aimable repos des yeux si nécessaire au grand goût de la peinture, de la sculpture et de l’architecture.
Dans :Apelle : Hélène belle et Hélène riche(Lien)
, p. 171
Remplissez-vous si parfaitement l’imagination de votre sujet, que les objets que vous voulez représenter s’offrent à votre vue comme s’ils étaient véritablement présents ; vous toucherez plus ou moins le spectateur, selon que vous l’aurez été vous-même. Vous devez vous exciter non seulement par la lecture de tout ce qui convient à votre sujet, mais en faisant vous-même les gestes et les actions des personnages que vous avez à représenter. Aristote dit qu’il faut, autant qu’il est possible, que le poète en composant imite les gestes et les actions de ceux qu’il fait parler ; car c’est une chose sûre que de deux hommes d’un égal génie, celui qui entre le mieux dans la passion sera toujours le plus persuasif, et une preuve de cela, c’est que celui qui est véritablement agité agite de même ceux qui l’écoutent et que celui qui est véritablement en colère ne manque jamais d’exciter les mêmes mouvements dans le cœur des spectateurs. Ce que M. Despréaux a si bien exprimé d’après Horace.
ll faut dans la douleur que vous vous abaissiez,
Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez,
Ces grands mots dont alors l’acteur remplit sa bouche,
Ne partent point d’un cœur que sa misère touche.
Dans :Polos, si vis me flere(Lien)